Récit du voyage du souvenir effectué en 2014 |
Aller en Poméranie en mai 2014 Au moment du départ (Sarah n’est plus avec nous), avec Adam, Dariusz, Piotr Matejuk fils d’un prisonnier polonais à l’Oflag IID et sa femme Alicja. Nous sommes devant le chêne planté en 2009, lorsque le Lycée reçut le nom « Aux héros de l’oflag IID » I- "Il y a des années que je voulais faire ce voyage", Alain Briottet J’y avais songé dans les années 1970 mais la guerre froide le rendait quasiment impossible malgré les progrès réalisés par la conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, dont l’acte final s’est tenu à Helsinki en juillet 1975. Un régime policier sévissait en Pologne et l’URSS tenait le pays en tutelle. J’y avais encore songé dans les années 1990, après la chute du mur de Berlin, l’écroulement de l’empire soviétique, le retour de la Pologne à la liberté, mais les difficultés de la vie et les pesanteurs professionnelles y firent obstacle. Finalement, m’étant inscrit à l’Amicale de l’Oflag IID-IIB-XXIB, son secrétaire général, Etienne Jacheet, m’invita à me rendre là-bas. Sa voix chaleureuse et son enthousiasme m’avaient décidé à le suivre. C’est ainsi qu’avec Dominique Sabroux, Françoise Aupetit et sa fille Sarah, j’ai découvert Gross Born et Arnswalde dans leur réalité d’aujourd’hui. On émergeait du souvenir et des fantasmes de l’imagination. Deux petites villes de Poméranie dans une Pologne prospère nous accueillaient près de 75 ans après les désastres de la guerre, Borne Sulinowo et Choszczno. Toute une vie s’était écoulée… l’émotion nous serrait la gorge. Nos amis polonais s’en rendaient compte, redoublant de tact, et de générosité. Je pense, en particulier, à Dariusz Czerniawski et Adam Suchowiecki. La petite route pour accéder à Gross Born traverse la forêt, et un cimetière russe recouvre la fosse commune. Nous nous sommes arrêtés là pour un long moment de recueillement, et Dominique a lu un passage du livre écrit par un des prisonniers revenu du camp, Georges Hyvernaud. « Le camp des Russes est à trois cents mètres du notre. Notre passe-temps, cet été-là, ce fut de regarder enterrer les Russes, traîner la charrette pleine de morts, jeter les morts dans la fosse, recommencer, toute la journée comme ça, toute la journée à remuer du mort dans cette plaine de soleil et de sable. » En écoutant ces mots, je pensais à la réplique cinglante que faisait Claude du Granrut aux gens qui se montraient indifférents aux souffrances des déportés dans les camps de concentration : « Les rats commençaient par les yeux ». Aux sceptiques, aux incrédules volontaires qui laissent croire que la vie dans les oflags était acceptable, je pourrai désormais dire : « Pensez-vous pouvoir vivre sans trembler au bord de fosses communes qu’on remplit tous les jours ? » Plus tard, et toujours à Gross Born, Françoise Aupetit remettra au Musée, consacré aux officiers prisonniers français et polonais, la vareuse de son père, son képi, son calot, ses brodequins, reconnaissante aux Polonais de maintenir le souvenir d’un moment de notre histoire tragiquement humain. Comment ne pas éprouver dans le même temps une sorte de fierté ? Nos pères parlaient peu de leur captivité. Nous aurions dû les interroger davantage, vaincre leur pudeur et la nôtre, les aider à sortir du mutisme qui les emmurait. Ils avaient exécuté une peine qu’ils ne méritaient pas, dénutris dans un hiver glacial, un été étouffant, un avenir mortifère. Beaucoup pensaient que leur vie se terminerait là et pourtant ils avaient survécu. La foi en leur dignité d’homme les avaient poussés au-delà du réel à résister jusqu’au bout. L’espoir demeure que justice soit faite aux officiers prisonniers pour qu’ils sortent un jour de l’oubli où on les tient. L’espoir demeure que l’on se penche sur ce qu’a été la vie de leurs femmes et de leurs enfants, ignorés autant qu’eux-mêmes. II- "Ce sont des paysages violentés que ces terres de Poméranie", Sarah Fainberg Elles défilent sous mes yeux. Terre violentée. Oui. Une terre où les champs aveuglants de colza, les forêts denses de bouleaux et de pins, les lacs immenses, glacés et profonds, font l'effet d'une désolation. En ce mois de mai, les vols amples des cigognes et les virevoltes joyeuses des hirondelles ne parviennent à m'apaiser pas plus qu'à adoucir la béance d'un tronc d'arbre affaissé au bord du lac rongé par un castor. Oui, ces champs et ces bois ponctués de lacs, ce colza jaune fluorescent qui revient encore et encore, étouffant les tons de pastels des arbres et de l'eau, semblent s'étendre sans fin à l'instar des jours mornes, ponctués par l'appel biquotidien des prisonniers de guerre français, polonais, et russes parqués dans les oflags et les stalags. Une terre désolée dont la luxuriance ne convient pas, une terre dépeuplée de sa population autochtone composée d'allemands et de juifs, une terre repeuplée de réfugiés par la force. En mai 1945, Staline hésite : il a déjà récupéré des pans entiers de la Pologne orientale – ces territoires de la République polonaise, « annexés » entre 1939 et 1941, piétinés sous les bottes du Reich et des Einsatzgruppen dès l'été 1941, puis incorporés aux républiques socialistes soviétiques de Biélorussie et d'Ukraine. Oui, Staline hésite quant à la ville allemande de Stettin. Doit-il la laisser à l'Allemagne ou bien la céder aux Polonais dont le pays vient de se faire amputer d'un quart de son territoire à l'est ? Staline tergiverse, Staline consulte, Staline tranche : au matin du 19 septembre 1945 il déclare polonaises, Stettin (Szczecin) et la Poméranie. Les femmes et les enfants allemands qui avaient continué de vivre à proximité des oflags, des stalags et des camps de concentration sont chassés. Les Polonais des régions orientales sont déplacés (région où le verbe « être déplacé », s'emploie dans le sens de « se faire déplacer»). Nous avons passé en train la frontière entre la Pologne et l'Allemagne. Nous voilà à Tantow, nul pathos, nulle explication, et ces mêmes masures proprettes, fermées et cossues….. Comment puis-je savoir que nous venons de franchir la frontière ? A l'insigne « Polizei », arboré par deux policiers allemands et qui me fait frémir malgré moi, je ne puis m’empêcher de chercher quelque indice de culpabilité, quelques traces d'humilité ou de signe de pardon au vu de leurs ventres gras et de leurs moustaches arrogantes. Au fait, où est le pardon quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le « miracle économique » ? Ces mêmes bouleaux et champs de colza toujours et encore. Cette égale tristesse de terres ensanglantées. On tente de croire au rayon de soleil qui fait soudain scintiller d'argent un buisson, on se pousse à se laisser bercer au clapotis du lac, à s'apaiser à la vue du dos débonnaire des pêcheurs. Mais on se force. Les briques rouges de l'Oflag IID implanté dans « la lande du diable » se nichent encore, pernicieuses, dans les dénivelés artificiels de cette forêt de Borne Sulinowo où les Allemands ont creusé pour construire des baraques et ont fait creuser pour ensevelir les morts : 953 soldats russes ici, 11 000 là. Et tous sans nom, bezymyanij… sans nom… à part cet officier ukrainien, pourquoi indique-t-on son nom ? Des croix blanches symboliques, en bois de bouleau, quelques dizaines de croix anonymes pour signifier une dizaine de milliers de disparus. Disparus…. Ceux qui s'en retournèrent à l'est furent accablés de soupçons et d'opprobre, les uns furent expédiés au Goulag, les autres devinrent des déportés intérieurs, étouffant leurs souvenirs comme ils purent. Quant à ceux qui revinrent à l'Ouest, ils durent se forger une contenance lors des repas dominicaux et consentir au masquage du passé, consentir à se faire servir une part de tarte aux fraises et ne pas en gâcher le goût avec des souvenirs de brouet de rutabaga ou de pis de vaches, d'histoires de dysenteries, de latrines ou de punaises poméraniennes. Ni gâcher le bon déroulement d'un réveillon familial quand vous revient en mémoire la vision de ces deux petites filles en haillons, au visage émacié, deux mortes vivantes du camp de Bergen-Belsen qui ne connaissaient de l'allemand que trois mots « Ich Habe typhus ». D'un côté les barbelés, les sentinelles, les miradors, la censure intérieure, de l'autre ces lèvres fines qui demeurent closes, plus qu'à l'habitude lors d'un repas de fête... Car les Oflags nous demandent un travail quasi impossible d'insertion mémorielle car ils sont pris en étau entre trois mémoires, celle des Résistants et des Maquisards, celle des morts tombés pour la patrie dont les noms sont gravés sur tous les monuments des villages de France, celle de l'horreur abyssale des camps de concentration. Ainsi, les officiers des Oflags se trouvent en quelque sorte dans un creux mémoriel, leur drame apparaît comme mineur, leur souffrance ne fait pas le poids au regard des trois mémoires précitées. Une mémoire embarrassante puisqu'elle révèle que les nazis ont à peu près respecté les conventions de Genève régissant le traitement des prisonniers. C'est ainsi que, singulier paradoxe, les prisonniers de guerre juifs des armées française ou belge ont pu vivre, en plein cœur du Reich nazi et aux mains de la Wehrmacht, à l'abri du génocide. Une mémoire floue car pendant que les camps d'extermination marchaient à plein régime, les officiers français pouvaient jouer aux cartes, assister à des conférences, à des représentations théâtrales ou bien faire une partie de pétanque… Captivité de barbelés et de miradors mais pas de triage pour la chambre à gaz. Pourtant il y a bien eu souffrance. Dès juin 1940, le sort des 1 800 000 soldats français noyés au sein de colonnes de réfugiés de l'exode fut terrible. Ils sont groupés en 300 camps de fortune (usines, églises) et parfois même en plein air. Leurs conditions de vie sont lamentables dans la mesure où ils sont livrés à eux-mêmes pour s’alimenter, les rations étant réservées aux troupes allemandes. Ils ont donc particulièrement souffert de la faim, de la soif, des conditions dérisoires de campement, des marches épuisantes dans la fournaise de juin, - jamais à l'abri de balles perdues - dans la période intermédiaire entre leur capture et leur installation dans les camps de détention. Puis ce furent les trajets en wagons à bestiaux. Puis ce furent les cinquante-quatre mois de captivité, qualifiée si justement par les historiens de « Grande Misère ». Humiliation, privation de liberté, détention au terme incertain, isolation, représailles pour les tentatives d'évasion, - dont celle terrible d'André Rabin le 18 mars 1942 - le froid, la faim, l'horreur des charretées de cadavres balancés dans les fosses communes, à quelques mètres de leurs baraques - tel fut le sort subi, pendant 5 ans, par 3 000 hommes dans la force de l’âge. (Il y eu en tout 28 000 hommes de la qualité d'officiers répartis dans les Oflags). Puis ce fut le 29 janvier 1945 le début d'une marche apocalyptique de 466 km qui les mènera d’Arnswalde jusqu'à Bergen. Libérés par le Major Coolney, du 3ème régiment de chars de la 2ème Armée Britannique, le 22 avril 1945, leur joie cependant sera souillée par la découverte du camp de Bergen Belsen. Il est strictement interdit de s'y rendre en raison de l'épidémie de typhus qui y sévit. Louis Rolland passe outre, enfourche un vélo et accompagné du lieutenant Aupetit, se dirige vers le camp en empruntant des chemins de traverse. En pénétrant dans le camp de Bergen Belsen voici ce qu'ils y voient : « des êtres qui marchaient sans qu'on put imaginer un but à leurs mouvements ; une retraite craintive et lente. Pendant des années, j'avais vu bien des gens maigres et haves, mais ce n'était pas la même chose. Des couleurs au visage, ils en avaient, mais on n'aurait jamais pu imaginer lesquelles : du bistre, du vert, du gris, du violet et ternes au point de renier les rayons du soleil. Les bérets grotesques enserraient des cranes qui paraissaient démesurés, au-dessus d'orbites immenses. Ils avançaient tout d'une pièce, soutenant d'un effort roidi le poids de leurs os et le vent mettait des plis dans les pyjamas rayés. Partout, une odeur douceâtre, celle des rutabagas cuits. Aupetit eut un mouvement de recul. Il avait blêmi ». Jusqu'à Bergen - Pages 252 – 256-257. Louis Rolland y retournera seul, courageusement, à plusieurs reprises, parcourra le camp de long en large, et témoignera de l'indicible dans son livre remarquable « Jusqu'à Bergen ». Comment revenir à une vie normale et parler après ce cauchemar ? Ces prisonniers de guerre, à leur retour, symbolisaient l'image de la défaite, de la reddition à l'ennemi et ne pouvaient se targuer du monopole de la souffrance. Comme le dit si justement Hyvernaud, on les considérait comme « peinards et planqués dans leur coin de Poméranie ». Alors ils se sont tus. Ils se sont sentis exclus de la victoire. Pourtant, chacun portait dans sa chair et dans son âme le sceau d'un terrible préjudice invisible. Moi Sarah, petite-fille du lieutenant Aupetit tient à exprimer ma profonde reconnaissance à l'Amicale des Oflags IID-IIB-XXIB, - ce beau Mémorial qui honore et rend justice à nos grands-pères et pères mais plus particulièrement à Étienne Jacheet. Par ses connaissances (il connait mieux que quiconque l'histoire des Oflags), par les liens qu'il a patiemment tissés avec la Pologne, par le site internet qu'il a créé, absolument remarquable, et traduit en plusieurs langues, par son enthousiasme et sa gentillesse, il réussit à garder, défendre et protéger la mémoire et l'honneur de nos officiers. Ecrit le 12 mai 2014, dans le train en direction de Berlin, quelque part entre Szczecin et Angermünde, après le parcours de mémoire sur les traces de son grand-père, André Aupetit. III- "Immense gratitude envers Etienne", Dominique Sabroux Son dynamisme persévérant, à la fois pour la mémoire de nos pères et pour la construction de liens durables avec les Polonais, m’a beaucoup touchée lors de l’Assemblée Générale de 2013 où j’allais pour la première fois, alors que j’appréciais le site internet depuis longtemps en l’utilisant en cours d’histoire avec des lycéens. Etant en retraite, j’ai aussitôt accepté la proposition de partir sur les lieux des oflags de mon père. Sept jours ensemble pour une somme modique, environ 400€ tout compris, pour un parcours sans faute dans de multiples lieux, musées, monuments, domiciles, restaurants, mairies, usine de chauffage urbain, où nous sommes toujours attendus et chaleureusement accueillis. Grâce à son engagement dans l’Amicale depuis 1993, son investissement relationnel, la documentation immense rassemblée, il relie travail historique et engagement, faits objectifs et passion de celui qui les consigne, histoire et art de conter. Dès l’arrivée à Orly, je me sens accueillie. D’emblée, avec Françoise, Sarah et Alain, nous avons des relations authentiques, amicales, dans la confiance de pouvoir parler de chacun d’entre nous, de nos parents, avec l’émotion jaillie de la tension vers la vérité. Ce voyage me met sur un chemin créatif et inattendu. J’organise à la Pentecôte une fête des grands- parents, tous décédés, occasion familiale pour parler sereinement des morts, de leur histoire dont nous sommes faits, de leurs souffrances mais aussi de leur force de vie. L’acte même de chercher produit de l’inattendu, et cette fête permet la redécouverte d’archives familiales, en particulier d’un agenda où mon père avait écrit les titres des livres lus à l’oflag, des noms de prisonniers, et des étapes de la marche de janvier-février 1945 vers l’ouest. Dans le cadre d’une Université Populaire, je vais programmer l’an prochain une conférence d’Etienne Jacheet dans ma ville, Troyes. Et je reviendrai en Pologne. J’espère avec mon frère, mon fils, ma fille et avec des amis. Nous sommes tous concernés par cette histoire européenne, de guerre et de paix. Voyage étrange et ardu, au temps du lilas en fleur. IV- La télévision et l’histoire des prisonniers de guerre Un contretemps significatif confirme le déni de mémoire à propos des prisonniers de guerre. Nous devions être accompagnés durant deux journées par Philippe TOURANCHEAU, réalisateur, et par un caméraman, pour préparer une émission de 52 minutes sur les prisonniers de guerre, avec comme thème principal, les évasions. Elle passera sur FRANCE 5 avant la fin 2014. Les réalisateurs sont venus interroger Etienne Jacheet à son domicile et ont été très intéressés par l'histoire du tunnel à la sortie duquel le Lieutenant André RABIN a été tué. La veille du départ, ils annulent leur voyage en Pologne, sans doute pour un sujet plus à la mode. Un reportage sur la télévision polonaise montre une autre attitude. Le commentaire polonais permet d’entendre l’essentiel des interviews des quatre français dont les pères étaient prisonniers, et de voir les lieux de l’Oflag IID. http://www.gawex.pl/wiadomosci/informacje_wideo/1758/DZIECI-JENCOW-OFLAGU-ODDAJA-HOLD L’équipe de la télé polonaise devant le monument français à Gross Born V- La carte du voyage VI- Un voyage fait d’étapes variées et passionnantes vendredi 9 mai Arrivée à Berlin, voiture de location. Arrêt à la ferme à Grünberg, étape dans la marche des prisonniers du IIB en janvier 1945. Arrivée à Szczecin (Stettin) où nous allons chez le docteur PAWLOWSKI, « Bolek », ancien résistant de l’ "Armia Krajowa" - (AK), son fils Jean et son petit-fils, Thomas, qui nous offrent le repas dans une école et nous accompagnent à Borne Sulinowo pour le week-end. Bolek et Alain Dariusz CZERNIAWSKI, directeur du musée de l'oflag IID (Gross Born) nous accueille vers 17h, ainsi que le Commandant Adam SUCHOWIECKI, tous les deux amis d’Etienne. Samedi 10 mai Visite du musée de l'Oflag pour officiers polonais, Oflag IIC, à Dobiegniew, à 35 kms au sud de Choszczno (Arnswalde). Eglise cistercienne à Bierzwnik. Restaurant au bord du lac à Choszczno avec le Lieutenant-Colonel Dariusz WOJTKOWIAK, et le Maire, Robert ADAMCZIK et son épouse. Visite des lieux de l’Oflag IIB, aujourd’hui caserne de l’armée polonaise. Remise d’une gerbe au monument de la caserne qui était l’oflag IIB Découverte du monument de l’Oflag au centre de la ville, et dépôt d’une gerbe dans l’église devant la plaque pour les 3000 officiers français. Dîner à l’ancien hôpital, en présence de Madame le Maire de Borne Sulinowo, Renata Pietkiewicz-Chmyłkowska. Toasts de Dariusz, et d’Alain. Dimanche 11 mai Musée : dons de Françoise, le site internet de l’Amicale, les objets A 14h départ pour arpenter des lieux de l'Oflag IID. Le chemin pris par Bertrand de CUNIAC après son évasion en mars 1942. Dépôt d’une gerbe. Recueillement sur les lieux des baraques et les cimetières russes. 18h, messe ou visite de la ville. Toast de Sarah Lundi 12 mai Départ de Sarah pour Berlin Première visite pour l’Amicale, à 140 kms de Borne Sulinowo, du camp de SZUBIN (Oflag XXIB) où étaient des officiers français, et du Musée Régional. Nous sommes accueillis ensuite par le maire de Szubin. Visite de Torun, ville de naissance de Copernic. Un loup traverse la route et s’arrête dans le chemin à 20 m de la route !!! Long face à face. Mardi 13 Visite de la ville de Borne Sulinowo. L’après-midi retour sur le site de l’Oflag IID : l’emplacement de la voie ferrée, la gare, la station d’épuration, le casernement allemand, puis soviétique. Mercredi 14 Interview faite par une jeune journaliste au musée, puis sur les lieux de l’Oflag IID. Visite du système de chauffage de la ville, écologique car le « carburant » est constitué par des morceaus de bois éclatés et 8 kms de canalisations souterraines ont été installés. Promenade à pied en longeant le lac. Cartes postales, dîner au restaurant. Jeudi 15 mai Départ de Borne Sulinowo à 8h45. Arrivée à Berlin à 13h30.
VII- La première visite de l’Amicale à l’Oflag XXI B A 140 kms de Borne Sulinowo, des officiers français étaient au camp de SZUBIN. Nous sommes très bien reçus par le Directeur de l’établissement scolaire pour jeunes placés par la justice, installé sur l’emplacement du camp, Wieslaw Guzinski, et par la Directrice du Musée Régional, Kamila Czechowska. Le travail fait par l’Amicale, et par Dariusz au Musée de Borne Sulinowo les intéresse beaucoup. Le plan actuel du centre pénitentiaire, qui accueille une quarantaine de jeunes, est très proche de celui du camp. Ce camp construit à l’emplacement d’une école, a d’abord servi pour des Polonais durant la campagne de 1939, puis pour des prisonniers français, anglais, australiens, américains, canadiens. En tout 20 000 prisonniers sont passés par ce camp. Avec l’appui de civils, plusieurs prisonniers réussirent à s’échapper. En mars 43, quarante-trois officiers réussirent à s’échapper par un tunnel. Quelques familles américaines et anglaises sont venues voir les lieux. Mais les recherches commencent tard, après la disparition des témoins. Plan de l’oflag XXI B Une vieille baraque en briques, à l’abandon, pourrait peut-être devenir un musée de l’oflag dans cette ville de 10 000 habitants. Un professeur a réalisé avec les jeunes, une maquette du camp, et prévoit d’en faire une, plus petite, transportable. La maquette de l’oflag XXIB L’oflag fut fermé fin 1943 et les Officiers français qui s’y trouvaient rejoignirent alors l’Oflag IIB d’Arnswalde. Mais le camp de prisonniers fut maintenu. Derrière nous, une ancienne baraque, habitée Le Musée Régional comprend une salle sur l’oflag VIII- Abécédaire : des mots chargés de sens après notre voyage André Comme le prénom de mon père, lieutenant de cavalerie …. Il évoquait souvent ce jour maudit du 11 juin 1940 où, à Dormans dans la Marne, l'ennemi l'a fait prisonnier. Selon la citation datée du 23 février 1943 à l'ordre de la Division qui accompagnait sa Croix de guerre avec étoile de Vermeil on peut lire : « Aupetit, Lieutenant du 33ème Groupe de Reconnaissance, toujours volontaire pour des missions périlleuses, doué des plus belles qualités militaires, animé par un courage réfléchi, a assuré au cours des 10 et 11 juin 1940 les liaisons les plus risquées entre le Général de Division et son GRDI (Groupe de Reconnaissance Divisionnaire - NDLR). Ayant pris ensuite, le 11 juin le commandement d'un groupe de cavaliers, au sud de la Marne, à l'Est de Dormans, a tenu le terrain qui lui avait été confié et, cerné de tous côtés, a lutté jusqu'à épuisement de ses munitions ». Son grand chagrin fut d'avoir été arraché à son cheval, Alma, son compagnon d’armes, celui qui partageait les heures de noire détresse dans les délicates missions aux avant-postes. Ce fut là son premier déchirement. Depuis ce jour et jusqu'à sa mort, mon père appellera les Allemands, les Boches. Block Lieutenant André Aupetit fait prisonnier à Dormans le 11 juin 1940 - Block III - Baraque 13 – Gross-Born et Block I - Stube 129 - Arnswalde. Lieutenant René Sabroux fait prisonnier à Sarrebourg le 16 juin 1940 - Block II - Baraque 8 - Stube 3 – Gross-Born et Block II – Stube 326 – Arnswalde. Lieutenant Marcel Briottet fait prisonnier à Dunkerque fin mai 1940. Lieutenant Bernard Jacheet, fait prisonnier le 9 juin à Roucy dans l’Aisne – Block 3 – Baraque 18 – Gross-Born puis Block 1 – Stube 325 – Arnswalde. Captivité Durant la captivité, les prisonniers ont appris la différence entre avoir et être. Les captifs ont appris le peu d'espace et le peu de choses qu'il faut pour vivre. Ils ont appris la liberté. Emmanuel Lévinas – Écrits sur la captivité. Françoise Donner Françoise offre, au Musée de Borne Sulinowo, les chaussures, l’uniforme, le calot, la casquette, et le portrait de son père dessiné en 1943 par le capitaine Jacques de Grandchamp. Immense émotion devant ce geste de transmission. Après avoir longtemps hésité avant le départ, je n’avais pas emporté les quatre livres, rapportés d’Allemagne par mon père et marqués du tampon de l’oflag, les volumes de Don Quichotte. Dominique Drôle de guerre Le terme a été forgé quelques semaines après le début des hostilités par Roland Dorgelès au retour d'un reportage aux avant-postes en Lorraine. « Drôle » car elle n'attestait d'aucune activité notoire, juste de quelques escarmouches ... Les Allemands l’appelaient « Sitzkrieg » guerre assise, les Polonais « Dziwna wojna » guerre étrange. Chez les Anglais, fleurissaient simultanément trois expressions : bore war, twilight war et phoney war. Entre la « guerre de l'ennui », la « guerre crépusculaire » et le « semblant de guerre », c'est ce dernier terme qui l'a emporté. Environs de Sarreguemines, 33ème GRDI - 45ème Division. Les jeunes cavaliers du Groupe de Reconnaissance tiennent les avant-postes. Une petite rivière, la Blies, sépare le versant français des lignes allemandes. Chacun s'épie, nuit et jour, dans un face à face tendu mais sans activité notoire, drôle de guerre… Février 1940, mon père écrit : « Ma chère Maman, je suis dans la bruine à côté de la cabane du « Boche qui tousse », flanquée sur la rive de la Blies. C'est une cahute en bois, dans laquelle on se planque, et on guette les Boches. Toutes les nuits, on « les » entend s'approcher, se parler tout bas et déposer leurs armes mais surtout, par ces nuits glaciales, on « les » entend tousser alors on a appelé cette cabane, « Au Boche qui tousse ». Pour ces jeunes cavaliers qui tiennent les avant-postes, « Au Boche qui tousse », c'est en quelque sorte devenu leur « Q.G. » et ils projettent même hardiment de clouer un écriteau à l'entrée sur lequel on pourra lire : « Au Boche qui tousse ». Espoir Pas la moindre lueur d’espoir dans cette foutue zone de la plaine poméranienne. Le temps n'avait pas d'échéance. Les mois et les jours coulaient gris, plats, monotones, sans repères, sans terme. « Car la monotonie est telle que moralement nous pouvions croire que nous traversions des steppes immenses, sans fin, sans horizon, dans la nuit ». Bernard Grancher Le prisonnier parqué derrière les barbelés nazis ne pouvait pas compter les jours le séparant de la liberté. Françoise Emotion, Education Alain, le dernier soir, remerciait nos hôtes en donnant les trois mots forts du voyage, émotion, espoir, éducation. La ville nouvelle de Borne Sulinowo ne bâtit pas sur le sable des guerres mais sur les racines multiples de l’histoire européenne. Partout, des panneaux en polonais, allemand, anglais, russe commentent les lieux et les bâtiments avec des photos des 3 périodes, allemande, soviétique, polonaise. La Municipalité envisage de réunir un jour des familles de prisonniers polonais, russes, français avec des familles allemandes. Le Lycée d’aujourd’hui, en lien avec le Musée, travaille aussi sur cette mémoire à transmettre. A Szubin, dans le centre qui accueille une quarantaine de jeunes placés par la justice, un professeur a fait construire une maquette de l’Oflag, et le Directeur aimerait transformer une baraque de briques en musée, et travailler en lien avec des écoles dans le cadre européen. Notre voyage permet de les mettre en relation avec Dariusz et le musée de Borne Sulinowo. Dominique Devant le Lycée et le Musée d’aujourd’hui Flûte Dans la cour d’Arnswalde ce matin-là, un officier français manquait à l’appel. Comptages et recomptages, effervescence à la caserne. Panique puis fureur des Allemands lorsque … d'une fenêtre du Block 2 s'échappent des notes de flûte qui s'égrènent mélodieusement en direction des officiers captifs. Minute de poésie. Soudain, Rolland apparaît. Le normalien, agrégé de Lettres et prix Renaudot 1934, avance de sa démarche majestueuse dans la cour, sa flûte traversière à la main et son calot sur la tête. Il intègre les rangs. Rage des Allemands. Instant de grâce. Françoise Fresque A Borne Sulinowo, une mosaïque datée de l’époque de la caserne soviétique représente une maternité, aujourd’hui recouverte en attendant une restauration. La mosaïque et la fresque sont deux arts muraux, durables, anciens, proches. Pourquoi ne pas imaginer une fresque, œuvre collective pour le Lycée de l’Oflag ? Peut-être dans le cadre d’un projet européen Comenius, une œuvre créée par les lycéens avec un artiste, pour l’ensemble de la population de cette ville de 20 ans, œuvre qui serait mémoire du passé et récit d’avenir ? Une association troyenne, "Les passeurs de fresques" pourrait accompagner le projet. Dominique Gross Born Le camp se trouve sur une vaste étendue de pins maritimes, de bouleaux, et de sable. Il s'étale sur quinze hectares. Six miradors et dix mille mètres carrés de barbelés entourent la zone. A l'intérieur, quatre Blocks de baraques. A cent cinquante mètres, le camp des Russes, le Stalag 323. Aujourd'hui le vent continue de gémir sur les vestiges de ce camp, trop de croix hantent ces lieux, on songe à tous ces prisonniers de guerre soviétiques qui reposent sans nom, dépouille sur dépouille, dans une immense fosse commune. Françoise A l’emplacement de l’entrée de l’oflag Gross Born Ce nom que de fois entendu quand j’étais encore un jeune enfant né deux ans à peine avant que n’éclate la guerre et que mon père soit fait prisonnier. Il marquait d’inquiétude notre vie quotidienne. On évoquait ce nom dans l’attente de courriers qui tardaient à venir, des lettres et colis à envoyer au plus tôt, des graves conversations avec les gens et ce jusqu’à ce qu’un autre nom de camp se substitue à lui, annoncé par la Croix-Rouge, Arnswalde puis Wietzendorf. Aujourd’hui, ce n’est plus un nom, mais la réalité d’un camp disparu. Une épaisse forêt de pins et de mélèzes recouvre le site, effaçant les baraques de bois, les miradors et les barbelés, mais la terre sableuse garde encore quelques-uns de ces liens de fer rongés par le temps et la rouille. Notre accompagnateur polonais, le Commandant Suchowiecki les a cherchés et nous les a offerts. C’était sans doute là l’essence même de Gross Born qui nous était transmise. Alain Hêtre pourpre Avec son port majestueux, son puissant tronc à l'écorce lisse, son feuillage soyeux aux teintes cuivrées, cet arbre fut à coup sûr un arbre de vie pour les prisonniers épuisés, faisant une brève halte ce 5 février 1945, dans le petit village de Grünberg. Intimité Nous sommes trente, dans la piaule ça sent la graisse chaude et la fumée de pipe. C'est plein de cris et de toux. Nous sommes là trente hommes agglomérés. Trente existences nouées les unes aux autres comme un paquet de vers... Des hommes ensemble. Des hommes qui mangent, qui digèrent, qui rotent, qui grognent ensemble. Qui vont ensemble aux cabinets. », Georges Hyvernaud, La peau et les os. Infirmerie Les malades rencontraient le plus souvent l'incompréhension des gradés allemands chargés de l'infirmerie. Un matin de novembre 1941 alors que le thermomètre marquait - 15°, les prisonniers qui se présentaient à la visite, attendirent une heure dehors. La salle d'attente restait désespérément fermée à clef. Juif Les prisonniers juifs du IIIe Reich, à quelque nationalité qu'ils appartinssent, ont, en contravention avec les conventions de Genève, fait l'objet d'un traitement à part. Les fiches que leurs gardiens remplissaient comportaient une rubrique « religion » qui déterminait une ségrégation de ceux qui se « déclaraient » juifs. (Revue Pardès n° 12 – Pages 197-198.) Ce questionnaire, Roger Ikor le qualifiait de redoutable. Ainsi il écrit : « Quand on répondait catholique, on faisait en quelque sorte d'une pierre deux coups car cela signifiait aux nazis que l'on était ni juif ni communiste. Pareillement pour moi, me dire incroyant équivalait à contourner le dangereux mot « juif » - celui-là même qui, tacitement m'était demandé. Mais on me demanda le nom de jeune fille de ma mère. Il se trouve que ce nom, Schimanovitz (descendant de Simon) est révélateur. Sans sourciller, en un éclair, je l'aménageai et j'en fis un Chimaneau qui sonnait coquettement français ». Il poursuit : « la ségrégation ne visait pas que les hommes. On sait qu'en principe la Grosse Allemagne nazie établissait sur les ouvrages de l'esprit une censure aussi rigoureuse qu’imbécile. Nous apprenions que Proust et Montaigne, qui sont des demi-juifs, devaient passer à la trappe avec les juifs intégraux ». Pour une fois, écoute mon enfant (pages 90-91 et suivantes). Au chapitre VI de sa thèse, l'Abbé Flament déclare : « Certains médecins d'ailleurs, parce que Israélites, se virent refuser par les Allemands la permission d'exercer leur art ». (Page 118) Françoise Kalchtein Borough, Carol Comment un juif, un russe, a pu vivre dans un oflag cinq ans, au centre de l’Allemagne nazie, protégé, en tant qu’officier français, par la Convention de Genève ? Langues Quelle riche transhumance de vivre ces cinq jours dans six langues, le polonais, l’allemand, l’hébreu, l’anglais, le russe, le français ! Combien de langues étaient parlées dans l’Oflag d’officiers français, certains venus de loin et ayant acquis depuis peu la nationalité française ? Borough Kalchtein a appris le russe à mon père pendant les cinq ans de captivité. A Paris, je me souviens que chaque soir, après la mort de Borough, René écoutait les disques Assimil pour entretenir cette langue russe, et son amitié, née dans l’oflag. Linde Tilleul en allemand, nom ancien de ce lieu de Borne Sulinowo, beau symbole de la ville nouvelle. Dominique Le symbole de la ville de Borne Sulinowo Loup Quelle vision irréelle de voir un loup dans un chemin perdu de la forêt de Borne Sulinowo. Comme une apparition au milieu de nulle part. Immobile, il nous regardait droit dans les yeux. C'était beau ! Un proverbe polonais dit : « Ne faites pas sortir le loup de la forêt». Françoise Marcel Briottet La visite du site de l’Oflag IIB m’a permis de retrouver l’esprit de mon père, le lieutenant Marcel Briottet, un homme juste et droit, que la captivité n’avait pas déshumanisé. Alain Alain découvre à Arnswalde une photo de son Père, qu’il ne connaissait pas Mémorial Quel beau Mémorial que ce site internet « Amicale des Oflags IID-IIB-XXIB ». Musée virtuel d'une grande richesse et accessible à tous, il est assurément le meilleur gardien de la mémoire de nos pères. Car le souvenir des prisonniers de guerre français, exilés dans le Reich nazi, est resté sur leur lieu de captivité. Aucun musée ni lieu de recueillement n'a été créé en France pour leur rendre hommage. A part un sous-espace de trois mètres sur deux au Mémorial de Caen... « Et nous autres qu'on a mis à pourrir là, dans ce village de baraques haillonneux et désespéré, au centre de cette Europe de neige et de nuit ». Georges Hyvernaud – La peau et les Os. Munitions Lorsque mon père me demandait d'aller faire une course pour lui, il me disait toujours : « Est-ce que tu as des munitions ? », voulant dire par là - « as-tu de l'argent sur toi ?». Numéro Pendant 5 ans André Aupetit a été un numéro, le n° 3065. René Sabroux, le matricule 3399. Bernard Jacheet, le matricule 1636. Ce matricule indiquait leur ordre d’arrivée dans le camp. Dans les bâtiments de l’Oflag IIB, Etienne reçoit la plaque d’un officier, récemment découverte dans un espace vert du camp, celui de René Morel, matricule 1927. Nous espérions trouver des archives avec l’ensemble des noms d’officiers présents au camp. Sont- elles en Russie aujourd’hui ? Sont-elles disséminées puisque Dariusz en achète sur internet ? Sont-elles disparues ? Nourriture Soupe aux orties, aux rutabagas, aux pis de vache, aux fanes de betteraves agrémentées de nombreux grains de sable. 270 grammes de pain par jour (1942). Oder Ce fleuve de 854 km, Odra en polonais et tchèque, Oder en allemand, français et russe, prend sa source en Tchéquie, traverse la Pologne en longeant l'Allemagne pour rejoindre son embouchure sur la lagune de Szczecin dans la Baltique. La ligne Oder-Neisse fixée par Staline en 1945, forme la frontière occidentale de la Pologne. Les prisonniers de guerre français ont franchi l'Oder au sud de Szczecin le 21 février 1945 sans pouvoir voir ce fleuve, comme le raconte Louis Rolland : « …...Bientôt un mot courut : c'est l'autostrade ! Il était sous nos pieds ce pont ! Il franchissait la zone des marécages....Nous marchions à droite de la ligne jaune qui marque le milieu de l'autostrade. Le ciment était sonore sous nos pieds. Nous étions tenus à distance des parapets avec menaces de tirer sur quiconque s'en approcherait de moins de deux mètres (au cas où l'un de nous aurait l'idée de plonger dans l'Oder). Nous ne pouvions apercevoir le fleuve car les barrières de ciment qui bordaient le tablier du pont nous empêchaient de le voir mais nous l'entendions. C'était un glissement gras d'eaux en crue et un ronflement chuintant de flots et de tourbillons. Ainsi nous n'avons pas vu l'Oder ». Louis Francis – Jusqu'à Bergen. Pins A Gross Born, les prisonniers évoquaient souvent la senteur balsamique de l'air qui émanait des pins sylvestres. Polonais Lorsque le 15 mai 1942 le premier contingent français franchit la barrière du camp de Gross Born pour descendre vers la halte du chemin de fer, devant la Baraque 17, douze officiers polonais se sont groupés face à la route qui mène au train. L'ordre formel leur a été donné de garder le silence. Tout à coup, ils ouvrent leur manteau. Chacun d'eux porte sur la poitrine une grande lettre majuscule, découpée dans du papier blanc. On peut lire « VIVE LA FRANCE ». Françoise Qui ? Quand ? Quoi ? A partir de 1933, ce lieu du camp de Gross Born était une infime partie, 15 ha, d’un immense terrain militaire de 26000 ha où s’entrainaient les chars qui allaient envahir la Pologne en septembre 39 et la France en mai-juin 40. La rampe de déchargement des chars pour descendre des trains est toujours visible. La maison de Guderian est toujours visible. Le mess des officiers, aujourd’hui en ruines, montre la volonté de puissance inscrite dans l’architecture. Nos pères côtoyaient ce lieu où se retrouvaient souvent les chefs nazis. Ce lieu devenu, après 1945, un terrain militaire soviétique du Pacte de Varsovie, interdit aux Polonais, ce lieu qui aurait pu devenir un terrain vague après le départ des russes en 1992 ?, et qui, par la volonté de quelques élus, et en particulier d’une femme, est devenu une ville nouvelle de presque 5000 habitants. Le mess des officiers construit en 1935, aujourd’hui en ruines Relations franco-polonaises Le long travail commencé par le Général Jean Simon en 1993 et continué par Etienne Jacheet s’enrichit patiemment, avec les militaires, les élus, les professeurs. Alain nous donne aussi de belles leçons de diplomatie. Au restaurant, à Choszczno, avec le Lieutenant-Colonel Dariusz WOJTKOWIAK qui commande la caserne, autrefois Oflag IIB. Dominique Rossignols Les officiers du IID-IIB nommaient les corbeaux les « rossignols d'Adolf ». Françoise René Sabroux Passe à la 3e Cie du Bataillon de Chars de combat (Chef de section) N° 31 le 4/9/39. Parti aux armées le 17/9/39. Campagnes contre l’Allemagne du 2/9/39 au 16/9/39 (Intérieur C.S.), du 17/9/39 au 15/6/40 (Aux armées C.D.), du 16/6/40 au 21/4/45 (captivité). Froideur des renseignements militaires. René, né en 14, a fait deux ans de service militaire, un an de guerre, cinq ans de captivité. Souffrance de l’homme de 31 ans qui revient chez son père, en vaincu. Son père, Emmanuel, avait fait trois ans de service militaire, puis cinq ans de guerre. Emotion devant la gravure de Rouault « Ce sera la dernière, petit père ». La mort rode derrière le père et l’enfant. Dominique Russes « A 150 mètres s'étendait le camp des prisonniers russes. Une charrette sortait par le poste de police du camp russe, s'enfonçait dans un chemin de sable en cahotant. C'était une grande fourragère poméranienne tirée non pas par des chevaux, mais par une corvée d'une vingtaine de Russes. Le chargement débordait. Elle transportait des hommes nus. Là, les Russes creusaient une fosse d'une vingtaine de mètres de longueur, sur une dizaine de large. La fourragère fut mise à cul et son chargement glissa sur le sable. On distinguait les têtes rasées, les membres entremêlés des cadavres et les cerceaux des thorax». Le commandant Watrin d'Armand Lanoux, (pages 373-374). Schubinette Il s'agit de petits réchauds fabriqués à partir de boites de conserve dans lesquelles on plaçait des brindilles de bois récupéré que l'on faisait brûler avec quelques boulettes de papier. Ces petits foyers portatifs furent inventés par un prisonnier du camp de Szubin. Ce poêle fut reproduit dans les autres camps à plusieurs centaines d'exemplaires et même à Paris. A Arnswalde, dans les mois qui suivront, la pénurie deviendra telle qu'on les alimentera avec des livres. Roger Ikor évoquera l'exploit de Paul Ricœur : « Il appartenait à notre popote, il rappliquait dans la chambre, serrant sur son cœur, mais sous sa capote, un poteau épais comme ma cuisse qui lui arrivait à l'épaule. De quoi alimenter notre schubinette pendant des semaines ». Le directeur, Wieslaw Guzinski, du Centre de jeunes de Szubin apprend ce qu’est la schubinette Sabre Mon père, lieutenant de cavalerie, me racontait qu'il avait fait la guerre sabre à la main. Il me disait que lorsqu'il dégainait son sabre, son cheval comprenait aussitôt, et se mettait systématiquement au galop. Son escadron s'est battu jusqu'à épuisement. Traces « Ce 18 mars 1942 il y avait encore de la neige ; elle était selon mon expression, grise et sale comme une prostituée. Puis il se mit à pleuvoir à verse. Ce fut sans doute aux traces des premiers évadés, devenues ineffaçables dans cette neige collante et glacée par la pluie, que les allemands repérèrent l'issue du tunnel. Ils se mirent en embuscade. Le premier qui sortit, le lieutenant de chars André Rabin, n'eut même pas le temps de se redresser : il fut mitraillé quasi à bout portant. » Roger Ikor – Pour une fois, écoute mon enfant. Françoise Torun Ce sont des historiens de cette belle ville qui ont compté les Russes dans la fosse commune de Gross Born, il y a quelques années, et en ont trouvé 11 000. Torun, où nous allons en touristes, découvrir la ville de naissance de Copernic. Nous faisons tous partie, aussi, du récit de l’univers. « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles », Oscar Wilde. Tombes Les dizaines de millions de tombes d’européens, durant la seconde guerre mondiale, sont écrites sur le sable ou gravées dans la pierre. Pour les prisonniers de Gross Born en Poméranie, fosse commune de 11000 prisonniers russes ou tombe d’amitié à Paris. Mon père, de parents creusois, tailleurs de pierre, est devenu, durant ses cinq ans de captivité, l’ami d’un juif de Kichinev, Borough Kalchtein, médecin à Chatillon-Coligny dans le Loiret, né le 8 mars 1905 dans l’actuelle Moldavie, deux ans après le pogrom du 6 avril 1903. Il est mort en 1953 quand j’avais 5 ans, mais il m’a bercé de cette musique yiddish qui m’émeut toujours pro- fondément. Mon père a choisi au Père Lachaise une tombe à 3 places, une pour son ami, une pour lui, il y est depuis 1988, et une pour ma mère. Beaucoup exprimaient leur surprise en 1988, à la mort de René Sabroux, de lire sur sa tombe, Borough Kalchtein, un nom d’ailleurs, tant sont rares les tombes d’amitié. Nous sommes tous des salades russes. Les enfants, et petits-enfants des prisonniers russes, ont- ils aujourd’hui les moyens de découvrir la souffrance de leurs ancêtres, d’honorer leur mémoire et de reconnaître les traces laissées dans leur propre histoire ? Dominique Université Une université fut créée où les professeurs du camp donnèrent leur cours, toujours très suivis. Elle dura du 15 octobre 1940 au 29 janvier 1945. Les sièges étant insuffisants, chaque élève devait se munir de son tabouret. Il y eut une Faculté de Philosophie, de Lettres, de Sciences, de Droit. Ces cours étaient dispensés par une remarquable pléiade de professeurs qui ne comptaient pas moins de douze agrégés de l'Université tels Ricoeur, Dufrenne, Ikor. Cette vie intellectuelle et morale a aidé les prisonniers à vivre, et a reforgé leurs âmes. Vie Louis Rolland raconte que, lors de l'apocalyptique marche, les officiers ont fait une halte à proximité d'une grange à moutons. Il raconte comment ce jour-là un souffle de vie flottait dans l'air. « Nous nous trouvions devant une bergerie qui devait contenir quelque 200 moutons. Quelle douceur ! L'air était chaud comme la fourrure des bêtes. C’était comme si je m'enveloppais d'une immense pelisse. Et cette odeur de vraie vie. Et ce plaisir d'entendre remuer ces animaux avec leur froufrou de boules laineuses ». Louis Francis - Jusqu'à Bergen. Vent « Le vent court tout autour des baraques et secoue durement les barbelés. Parfois il s'écrase d'un coup sur les baraques gémissantes. Tout le camp tremble sous la marée sauvage des vents ». Georges Hyvernaud La peau et les Os, (Pages 52-53). Françoise Wagon Nous savons si peu de choses sur les voyages en train des prisonniers des Oflags IID-IIB-XXIB, entre la France et la Poméranie en 1940, ou entre Salzwedel et Soest pour ceux qui ont fini leur captivité dans l’Oflag VI A. Dominique Yourcenar Sur le chemin du retour vers Berlin, une parenthèse pour nous détendre un peu, Alain évoquait dans la voiture sa rencontre avec Marguerite Yourcenar. Il nous parlait de sa petite maison en bois, qui ressemblait à une datcha et qui s’appelait « Petite Plaisance ». Elle était située sur une île découverte au XVIIe siècle par Champlain et baptisée par lui, l’île des Monts Déserts (Etat du Maine). Alain nous expliquait que l'hiver il y avait tellement de neige, il y faisait tellement froid, que l'écrivain, élue première femme à l'Académie française, choisissait de passer cette saison sous des cieux plus cléments. Zone « En ce cruel hiver 1942, les miradors dans lesquels les sentinelles tapaient la semelle ressemblaient à d'énormes araignées, dressées sur leurs pattes, prêtes à bondir sur leurs proies. Par ce temps les baraques, barbelés et poteaux, ajoutaient à la saleté et à la laideur. La neige donnait à ce paysage un tableau sibérien. C'était la zone ». Raymond Gangloff, 5 ans d'Oflags, (Page 114). Françoise IX- Longue vie à l’Amicale Pour conclure, Dominique, Françoise, Sarah et Alain, nous voulons exprimer nos plus vifs remerciements à Etienne Jacheet qui nous a conduits en Poméranie pour visiter ce que furent les camps de Gross Born et d'Arnswalde, et nous y recueillir. Qu'il soit remercié pour le tact, l'enthousiasme, la générosité qu'il n'a cessé de nous manifester, tout au long du voyage, cherchant à le rendre moins difficile. Etienne nous a enrichis en nous faisant partager l'immense savoir de l'histoire de la captivité qu'il a acquis, durant des années, en sa qualité de secrétaire général de l'Amicale. Il nous a rassurés quant à son avenir, en nous faisant connaître ses amis polonais qui perpétuent, en étroite coopération avec lui, le souvenir des officiers français prisonniers de Poméranie. Qu'il nous soit permis de lui dire enfin qu'il a fait naître entre nous une amitié profonde, la raison d'être de notre Amicale et de sa continuité.
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