Evasions

La chambre d’entrée - Le magasin atelier

Creuser le premier trou dans cette terre poussiéreuse et se frayer un chemin de taupe avec 30 centimètres d’espace libre en hauteur ne fut pas une petite histoire ; il fallut d’abord creuser des chemins d’hommes, rejetant la terre à droite, à gauche, afin de pouvoir en rampant explorer le dessous de la baraque. Nous nous aperçûmes de suite avant d’entamer le tunnel qu’il nous fallait creuser tout le dessous de la baraque, si nous voulions essayer de nous propager dessous et surtout si nous voulions en prendre les planches du deuxième plancher ; mais alors, si nous commençons à bourrer le tiers du dessous de la baraque avec la terre avoisinante où mettrons-nous le sable du tunnel ? Nous confectionnons des « raclettes », long râteau en bois, afin de pouvoir tasser la terre le plus loin possible.

Autre difficulté : comment y voir sous cette baraque qui était jusqu’alors le royaume des rats et de nombreuses bestioles. Les lampes à graisse furent alors à l’honneur. Nous en reparlerons plus loin.

En même temps qu’un équipe s’occupe de frayer ainsi es chemins de taupe, une autre équipe creuse la chambre de départ juste sus la trappe : deux mètres de profondeur sur deux mètres de long et un mètre 50 de large. C’est cette chambre qui nous servira d’atelier de menuiserie, d’électricien, de vestiaire et de cachette pour tous nos vêtements civils.

Pour creuser le dessous de baraque et la chambre, nous utilisons des boîtes en bois et des pelles en bois ; en effet, le principe est de ne jamais utiliser d’instruments métalliques à cause du bruit que ceux-ci provoquent en rencontrant des pierres.

Nous construisons de même des petits chariots en bois pour transporter le sable au fond de la baraque, puisque c’est le fond et les pourtours que nous commençons à combler. Pour tirer ces chariots des cordes que nous confectionnons dans la chambre d’entrée ; cordes à cinq bouts faites grâce aux ficelles que nous volions abondamment lorsque nous allions chercher un colis.

Pour éclairer la chambre, Guyhur et Rabin, les électriciens de l’équipe descendent une baladeuse.

Duhen affiche son plan de travail, le croquis et projet du tube en coupe ; au fur et à mesure que nous avancerons, nous tracerons au crayon rouge sur ce croquis notre avancée. Nous envisageons de même la place du ventilateur dans cette chambre. Fajeau est chargé de la confection de celui-ci au moyen de boîtes de conserves que nous récoltons dans toutes les poubelles du camp.

Déboisage et déblais
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    <td width= Plan du sous sol de la baraque 35 pour l'évasion de 1942 Oflag IID - Gross-Born Cliquer  </td>
    <td width= Dessin d'outil à confectionner pour l'évasion de 1942 Oflag IID - Gross-Born

Dès le début des travaux, il nous fallut du bois, ne serait-ce que pour confectionner les chariots, boîtes en bois, raclettes et murs de soutènement de la chambre.

Il s’agissait donc de déboiser le dessous de la baraque, c’est-à-dire , enlever le deuxième plancher inférieur qui avait pour but d’isoler le premier plancher de l’humidité, une feuille de papier goudronné étant placé entre les deux planchers. Je fus chargé de cette mission avec Bricard et De la Gorce, car il ne fallait pas être trop gras pour pouvoir travailler à plat ventre ou sur le dos dans un espace de 30 à 40 cm de hauteur.

Ce fut un travail extrêmement pénible que de travailler ainsi à la lueur d’une lape à graisse qui se renversait constamment ou s’éteignait souvent engorgée par la poussière ; position complètement étendue sur une terre farcie de cadavres de rongeurs où nous ne pouvions même pas replier les jambes. Pour avancer, il nous fallait souvent à l’aide de notre raclette individuelle creuser notre chemin et il n’était pas question de faire demi-tour ; il fallait ramper à reculons.

Pour déboiser, il fallait nous mettre sur le os et avec un petit pied de biche soulever les planches de leur support transversal, en ayant soin de récupérer tous les clous qui devront nous servir à constituer les planches à taquet pour boiser le tube.

Au fur et à mesure que nous récupérions les planches, le papier goudronné interposé entre les deux planchers nous tombait sur la figure, gênant considérablement notre travail ; mais qu’en faire ? Il prenait inutilement de la place. Il nous fallut alors le plier régulièrement afin qu’il tienne le mois de place possible et nous l’enterrions au fur et à mesure que nous bourrions de terre.

Le plus délicat fut de se rappeler constamment que nous devions conserver le plus strict secret et, par suite, de faire ce travail d’arrachage de clous et de planches sans le moindre bruit. Que l’on s’imagine que nous travaillons juste sous le plancher de chambre qui ne devait à aucun prix connaître notre travail ; il fallait donc s’ingénier à agir avec la plus grande prudence et, par suite, la plus grande lenteur surtout dans l’arrachage des clous. Il m’est arrivé de passer plus d’un quart d’heure à travailler sur le même clou pour qu’il n’y ait pas le moindre crissement, surtout lorsque le plus grand silence régnait dans la chambre au-dessus. Bien entendu, nous avions à faire à es clous entièrement rouillés.

Lorsque nous considérions que nous pouvions agir sans bruit, nous le faisions savoir à nos camarades de chambre qui n’étaient pas en plongée grâce au trou de communication dont j’ai parlé plus haut, et à ce moment-là, le phono était mis en marche, ils faisaient grand bruit dans notre chambre et souvent même, un trouvait un prétexte quelconque pour aller dans la chambre voisine sous laquelle nous étions en difficulté ; et là il s’arrangeait pour distraire leur esprit du silence. A ce moment, nous nous empressions d’arracher le clou réfractaire et le tour était joué.

Les planches, une fois arrachées, étaient conduites à la chambre de départ où nous débitions à la mesure idoine pour boiser le tunnel, grâce à des scies que nous confectionnons nous-mêmes. En effet, nous découpions une lamelle dans une boîte de conserve, y faisions des dents et la montions sur un petit cadre de bois. Le lames s’usaient vite, mais elles étaient refaites aussitôt.

Au fur et à mesure du déboisage, nous bourrions avec la terre des déblais amenée de chariot en chariot, et tassés grâce à nos fameuses raclettes.

Ces fameuses raclettes jouèrent un si grand rôle dans notre travail, que nous en fîmes l’emblème de l’équipe.

Le souvenir de « la raclette » prononcée par Rabin avec son accent Montmartrois restera gravé dans nos mémoires.