Les Bibliothèques |
Une des choses qui nous ont le plus marqués dans les premiers jours de la captivité a certainement été l’absence quasi-totale de lecture. Comme ersatz, nous avions quelques journaux allemands, et ce fameux "Trait d’Union", journal rédigé en français par les allemands à l’intention des prisonniers de guerre et qui n’était qu’un tissu de propagandes, très vite, d’ailleurs baptisé le Torchecul, et qui rapidement n’a été utilisé que pour l’usage externe ou pour l’alimentation des feux de popotes. Il n’y avait que peu de livres sauvés par l’un ou l’autre ou empruntés ici ou là, dans les quelques haltes qui avaient jalonné notre voyage. Cela explique en partie l’affluence des prisonniers aux conférences des premières semaines. Ce n’est qu’à la fin du mois d’août que commença à s’organiser un semblant de bibliothèque. Quelques livres arrivaient dans les premiers colis. Leurs propriétaires, après les avoir lus et en avoir fait profiter leur chambre, avaient été invités à les verser à la bibliothèque du bloc. Quelques uns aussi ont pu être achetés en Allemagne. Bref, petit à petit, chaque bloc eut sa bibliothèque. Puis, à coté de ces bibliothèques générales, et surtout après la libre circulation entre les blocs, il s’est créé aussi des bibliothèques spécialisées (par exemple celle de l’Action Catholique), et enfin les bibliothèques des facultés. Mais ces bibliothèques n’étaient pas à l’abri des rigueurs de la censure allemande, loin de là. Elles ont traversé, en particulier, deux crises graves. La première s’est produite au début de l’année 1942, quand, piquée par je ne sais quelle mouche, la direction du camp décida d’exercer une censure extrêmement stricte. Devaient disparaître tous les livres d’auteurs israélites, les livres de tendance anti-allemand ou obscène, les récits d’évasion etc, et cela, qu’il s’agisse de livres récents ou de classiques. Une protestation très vive du Colonel Verdier n’aboutit pas : les ordres, paraît il venaient d’autorités supérieures. En représailles, mais ce fut une faible représaille, la bibliothèque allemande, qui elle n’était pas touchée, fut boycottée, et, après notre arrivée à Arnswalde, transformée en bibliothèque des langues étrangères, ce qui lui permit de devenir le refuge de quelques activités clandestines. Cette première crise n’était pas achevée qu’intervinrent presque simultanément le changement de camp et les sanctions décidées à la suite de l’évasion du Général Giraud. Les livres, mis en caisse à Gross Born pour être dirigés sur le nouveau camp, furent confisqués ; ce n’est qu’en novembre que les quatre vingt dix huit caisses nous furent restituées. Les conditions d’existence étaient quelque peu différentes et il fut question d’une réorganisation totale des bibliothèques générales, car les bibliothèques particulières, celles des facultés par exemple, avaient été exemptées de la me- sure générale et avaient été rendues beaucoup plus tôt. Les bibliothèques des différents blocs représentaient un total de 13 000 volumes. Certains ont préconisé alors de les regrouper en une seule grande bibliothèque commune. Finalement, on préférera laisser à chaque bloc la gestion de sa propre bibliothèque, mais dans un local commun, dans les combles du bloc IV. Néanmoins, tout le camp y avait accès selon un horaire établi. "Ecrit sur le Sable" a fait son enquête : "La lecture la plus courante de l’officier moyen demeure le roman : romans policiers d’abord ; le roman d’amour est moins prisé, genre Henry Bordeaux. Parmi les modernes, connaissent la vogue Jules Romains, Martin du Gard et Simenon, dont les oeuvres sont retenues des semaines a l’avance. Les Hommes de bonne volonté et les Thibault sont très recherchés. " Les romans étrangers sont également très demandés, Lawrence, Sigrid Unset, Cronin, et l’officier prisonnier n’est pas rebuté, loin de là, par les romans fleuve tels la Mousson ou Autant en Emporte le Vent. A côté de ces bibliothèques générales, il faudrait aussi citer toutes les petites bibliothèques particulières spécialisées. Dans sa thèse, l’abbé Flament recense un total de 22 000 livres, soit 9 000 pour ces bibliothèques spécialisées. Cet ensemble impressionnant a dû être abandonné dans les combles du bloc IV ou il a dû disparaître dans les pillages et les bombardements qui ont suivi notre évacuation. |