Tout d’ abord, il faut que nous rendions hommage à ceux qui, dès les premiers   jours, ont su se mettre au service de leurs camarades d’infortune. Une énorme   organisation comme celle d’un camp de prisonniers aussi vaste, improvisée en   quelques jours, demande beaucoup d’encadrement. 
      Si les allemands assuraient la supervision, des services comme l’infirmerie,   la cuisine, la poste, les ateliers de tailleurs ou de coiffeurs, pour ne citer   que ceux qui nous étaient les plus nécessaires, ne fonctionnaient que par les   français, par la compagnie d’ordonnances qui était rattachée à notre camp et par   tout un encadrement qui a été assuré par des officiers français, en général ceux   qui parlaient allemand, ce qui permettait d’établir un contact plus facile avec   nos gardiens. 
    Au début, les blocks étant isolés, cela multipliait par quatre le nombre de   ces volontaires. Pour mémoire, il faut citer aussi, dans chaque bloc,   l’encadrement français prévu par la Convention de Genève : l’homme de confiance -   chez nous l’officier le plus ancien - et un léger état-major dont la figure   principale 
      a été l’interprète officiel. En plus de ces services "officiels",   très rapidement, s’est fait sentir dans chaque block, le besoin d’une   organisation particulière chargée des rapports avec le cantinier et qui a pris   le titre de C.D.O. : 
      Commission Des Ordinaires. Ne revenons pas sur les   agissements du cantinier qui nous ont permis la soudure ; pour nous, il   s’agissait d’éviter la ruée vers la cantine lorsque s’annonçait un nouvel   arrivage, et de faire une répartition aussi équitable que possible de ces   arrivages. Beaucoup plus tard, cette Commission Des Ordinaires a donné naissance   au " Centre d’Entraide ", comme on l’a déjà vu. Pour tous ces services, des   volontaires se sont présentés. Certains sont même restés en charge jusqu’à la   fin de la captivité. Quelques-uns en furent récompensés par une libération   anticipée. Mais je ne pense pas que ce fut la majorité. 
      En tous cas, tous   méritent toute notre reconnaissance. 
       
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    Les rapports entre les prisonniers de guerre et leurs gardiens sont définis   en principe par la Convention de Genève dont l’ Allemagne et la France sont   signataires, à la différence de l’URSS - ce qui explique en très grande partie   la différence de régime et les atrocités dont nous avons pu être les témoins   souvent révoltés. 
    Les nombreux ouvrages - études, thèses ou romans - consacrés à la captivité,   et en particulier à notre camp, ont souvent fait état de l’interprétation,   parfois très lâche, que nos gardiens ont fait de cette convention : 
      nous en   avons déjà eu quelques exemples et nous aurons encore l’occasion d’en parler.   Sur un certain nombre de points, la convention est très précise, en particulier   sur le traitement des officiers prisonniers : logement, nourriture, solde,   promenades etc... Or, certains de ces points ont été delibérement négligés,   même lorsque les nécessités de la guerre n’étaient pas en cause. De plus, et là,   nos gardiens ne sont en cause qu’indirectement, le gouvernement français a fait   une erreur que l’on peut qualifier de monumentale : 
      il a cru - ou en tout cas a   proclamé que les allemands lui avaient fait une grande faveur en acceptant que   la France soit elle-même la puissance protectrice de ses prisonniers. Nous avons   ainsi été privés de la protection d’une puissance neutre qui aurait eu accès et   contrôle des camps de prisonniers. Et ce ne sont pas les rares visites de   membres de la mission Scapini(*) - dont on avait d’ailleurs l’impression qu’elle   était totalement impuissante - qui ont pu apporter un soulagement quelconque à   notre situation. 
       
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    Il a donc fallu organiser la vie matérielle de cette masse de prisonniers qui   vivait dans le camp. 
      Disons tout de suite que -à part le service de garde et   celui de la censure évidemment, ce sont les français, sous un contrôle plus ou   moins lointain des allemands, qui ont assuré les différents services du camp -   et nous allons très rapidement dire un mot de chacun de ces services. La   convention de Genève prévoit que chaque camp sera placé sous l’autorité d’un   homme de confiance ou d’un doyen. Chez nous, le doyen a toujours été l’officier   supérieur le plus ancien dans le grade le plus élevé- ce qui a valu, par exemple   au colonel Malgorn d’assurer cette fonction à plusieurs reprises, car il fut   deux fois remplacé, à l’arrivée d’un colonel plus ancien venant d’un autre camp,   puis libéré ou envoyé au camp de Lubeck. Dans sa thèse, l’abbé Flament nous   donne la liste, très exacte, précise-t-il, des chefs Français du camp : 
de juin 1940 au 12.12.1940 colonel Andrei, rapatrié, du 12.12.1940 au   22.12.1940 colonel Le Brigand , muté a Lubeck, du 22.12.1940 au 09.09.1941   colonel Gruyer, rapatrié, du 09.09.1941 au 23.02.1943 colonel Vendeur, rapatrié,   du 23.02.1943 au 12.02.1944 colonel Rousseau, mort à Stargard, du 12.02.1944 au   02.06.1944 colonel Malgorn, Ier commandement, du 02.06.1944 au 22.07.1944   colonel Finiels, muté a Lübeck, du 22.07.1944 au 29.09.1944 colonel Malgorn,   2eme commandement, du 29.09.1944 au 29.01.1945 colonel Verdier. 
      Dans cette liste, a été oublié le colonel de Negreval qui n’a commandé le   camp que quelques jours avant d’être envoyé a Lübeck. 
      Le rôle de ces chefs de camp est résumé ainsi, toujours dans la thèse de   l’abbé Flament : "Ces hommes de confiance eurent à défendre, auprès des   autorités allemandes, quelques 6 000 prisonniers en 1940, près de 3 000 à partir   de 1942. La tache délicate leur incomba d’obtenir de nos gardiens le plus   d’avantages possible, sans platitudes. Une telle fonction réclamait de rares   qualités d’énergie et de souplesse, de diplomatie et de fierté, sans arrogance.   Vis à vis des français du camp, le rôle n’était probablement pas plus facile. 
      Position dangereuse que de se trouver ainsi entre l’arbre et l’écorce. Parfois   l’égoïsme peut tenter de reprendre ses droits. Le chef français du camp est logé   à part, nourri à part, avantagé, s’il y consent, pour les lettres et les colis.   Trop demander aux allemands, c’est encourir une disgrâce et renoncer à des   avantages pour toute la collectivité. Trop peu réclamer, c’est faire le jeu de   l’ennemi et réduire les prisonniers à une plus grande misère. L’équilibre est   bien difficile à garder." (5) Pour l’aider dans cette tache ardue, le doyen   devait s’appuyer sur un autre élément très important pour le bon fonctionnement   du camp : l’officier interprète. 
      A l’Oflag IIB-IID, un seul interprète a assumé   cette fonction : le lieutenant Pierre Robin dont le colonel Malgorn faisait l’   éloge en ces termes : "Le lieutenant Pierre Robin, en fonction dès le début de   la captivité, et qui, par sa connaissance de la langue et de la psychologie   allemande, sa distinction naturelle, sa discrétion proverbiale, a aplani bien   des difficultés et rendu aux doyens successifs et à tous les camarades les plus   grands services." (6) Le camp ne pouvait survivre que s’il disposait d’un   certain nombre de services qu’il serait fastidieux de décrire tous. Disons donc   seulement quelques mots de ceux qui nous étaient les plus nécessaires.  
      Et tout   d’abord, il nous faut rendre hommage à la compagnie d’hommes de troupe qui nous   ont accompagnés, assurant la cuisine, la distribution des vivres, le nettoyage   de nos chambres, que nous appelions nos ordonnances, car chacun avait en charge   une ou plusieurs de nos chambres et donc partageaient une grande partie de notre   vie. A côté de ceux-ci, il y avait quelques ateliers : les tailleurs et les   coiffeurs par exemple. 
      Soulignons seulement la grande contribution de l’atelier des tailleurs qui   normalement devaient assurer l’entretien de nos effets courants - et Dieu sait   dans quel état ils étaient ! - mais aussi a été très sollicite pour la   fabrication de vêtements civils destinés a ceux de nos camarades qui se   préparaient à tenter une évasion. 
      Les hommes préposés aux cuisines ont eu également une grande influence sur   notre survie - surtout au début de notre captivité : rappelons le spectacle des   affamés qui rodaient autour de la cuisine à l’affût d’épluchures généreuses - et   aussi le rôle des distributeurs de notre brouet journalier, qui par le simple   maniement de leurs louches enfoncées plus ou moins profondément dans la marmite,   pouvaient favoriser un peu les plus handicapés d’entre nous. 
      II y a eu aussi un autre service dont l’action a été très importante dans le   camp : c’est le service de la poste. 
      En principe, pour la distribution des colis   individuels, chaque colis devait être ouvert, examiné et fouillé par un soldat   allemand, en présence de son destinataire. Mais toute la manipulation des colis   était faite par des français, sous l’autorité d’un officier. Quelques colis,   repèrés à l’avance, contenaient des éléments qu’il était souhaitable de ne pas   soumettre à l’examen des allemands - censeurs - Combien de pièces de rechange pour   les appareils radio, de faux papiers d’identité, ou de marks ont pu échapper à   la fouille grâce à la complicité des hommes du service de la poste ! 
      Il faut aussi parler d’un des services les plus indispensables du camp : le   service sanitaire et l’infirmerie. 
      Un grand nombre de médecins ont été fait   prisonniers avec leurs unités. Ils ont été amenés dans les camps, où, après les   formalités d’immatriculation, reconnus comme "sanitaires", ils devaient être   rapatriés conformément à la convention de Genève. Au début de juillet 1940, il y   avait à l’Oflag IID, 65 médecins, pharmaciens et dentistes. Leur départ avait   été annoncé dès le 6 juillet, mais leur libération s’est souvent longuement fait   attendre. Il n’est resté, en charge de l’infirmerie, que trois ou quatre   médecins et un seul dentiste qui n’ont été relevés, pour certains, qu’en 1944.   Voici un extrait du rapport du colonel Malgorn à leur sujet : 
    "Le service de santé était assuré par des médecins français actifs et   compétents (médecin capitaine Tartarin, médecin-lieutenant Duboc, remplacés au   cours de l’année 1944 par des médecins releveurs). Un dentiste et, en dernier   lieu, un pharmacien venu de France complétaient le personnel sanitaire traitant.   Les infirmiers, au nombre d’une dizaine, aidaient les médecins. Je suis sûr   d’être l’interprète de tous les malades ayant séjourné à l’infirmerie du camp en   rendant hommage à la bonne volonté et au dévouement des infirmiers français.   Certains d’entre eux ont été au-dessus de tout éloge." (7) Le rôle de nos   médecins a été assez difficile à tenir ; ils étaient sous l’autorité de médecins   allemands dont les visites au camp étaient aussi rares qu’imprévisibles. Les   médicaments les plus nécessaires manquaient. Et lorsqu’il était question de   rapatrier les malades, les autorités allemandes mettaient la plus mauvaise   volonté. Tous les prétextes étaient bons pour retarder ces rapatriements, en   particulier, au moment des "sanctions Giraud". (*)  |