Le 28 janvier 1945, à Arnswalde, les officiers de l’Oflag II B s’affairent.   Ils ont compris que les allemands, 
en raison de l’avance des armées russes en   Poméranie, vont les faire partir vers l’Ouest, à pied. 
Ils se mettent donc à   préparer sacs à dos, musettes et valises et aussi à fabriquer des luges avec des   planches 
de leurs châlits en raison du temps neigeux qui sévit. Ils choisissent   les vêtements qu’ils emporteront. 
Ils cherchent, en sacrifiant le plus d’objets   et de documents possible, à alléger leurs bagages. Ils ne retiennent que ce qui   leur est le plus précieux et surtout les vivres les plus essentiels. Et le 29   janvier, réveillés à 4 heures du matin, rassemblés à 6H30, ils reçoivent,   chacun, un pain et 4 centimètres d’une sorte de saucisson, 
la Wurst, peu   appétissant. Ils sont invités à regrouper dans le gymnase tout ce qu’ils ne   peuvent emporter. 
Après bien des difficultés soulevées par les allemands, une   quarantaine d’officiers malades, qui ne peuvent 
se déplacer à pied, sont   autorisés à rester dans un des bâtiments du camp après le départ de leurs   camarades. 
En fin de matinée, trois colonnes d’environ 900 officiers chacune   quittent successivement le camp, 
encadrées de sentinelles armées et traversent   lentement Arnswarlde, sous la neige. Ces trois colonnes vont alors suivre,   d’abord, des itinéraires à peu de chose près identiques passant par Pyritz (*)   (actuellement Pyrzyce), Sabow (actuellement Zabow), le pont de l’Oder, sur   1’autoroute contournant Stettin (actuellement Szczecin) par le sud, Krackow,   Baumgarten, Falkenhagen, Göhren, Gross-Dratow, Waren. Dans cette ville, 
environ 
          la moitié des officiers d’Arnswalde seront embarqués dans un train qui les   amènera à Bremervörde. 
De là, ils se rendront à pied au camp de Sandbostel.   Puis, partie en train, partie à pied, ils seront envoyés 
au camp de Wietzendorf   pour être enfin installés, le 22 avril 1945, dans la ville de Bergen. Les autres   officiers de l’Oflag II B quitteront Waren à pied et poursuivront leur route par   Stepenitz, Wittenberge, Sanne. 
Ils arriveront ainsi à Salzwedel après avoir   parcouru 466 kilomètres à pied. Ils seront alors embarqués en train pour arriver   le 19 mars 1945 à I’ Oflag VI A de Soest. Tous ces déplacements furent effectués   sous 
le commandement des officiers allemands d’ Arnswalde et avec un encadrement   de soldats allemands disposant de leur armement individuel complété par quelques   mitrailleuses. Les menaces avec des pistolets ou des fusils ne manquèrent pas,   chaque fois qu’une tentative d’évasion était décelée où qu’un ordre était   discuté 
ou transgressé ; quelques coups de feu furent tirés. A un seul moment, à   l’est de l’Oder, lorsqu’il apparut 
que les unités russes n’étaient pas loin de   Pyritz et pouvaient encerc1er les colonnes, les sentinelles relâchèrent quelque   peu leur brutalité, craignant pour leur propre sort. Mais après le passage de   1’0der l’encadrement allemand reprit toute sa dureté. En contre partie, quelques   civils allemands eurent, parfois, des gestes 
de compassion mais ceux-ci furent   rapidement arrêtés par les réactions des sentinelles. 
En sortant de la caserne   d’ Arnswalde, il fut possible de découvrir la situation réelle de l’Allemagne. 
A   l’est de 1’0der se trouvaient des unités en état de combattre mais on   rencontrait aussi, des hommes manifestement en pleine retraite. A l’ouest du   fleuve, s’allongeaient des colonnes de réfugiés, s’éloignant 
avec leurs familles   et quelques biens entassés sur des chariots. L’activité aérienne alliée était   soutenue 
et les effets des bombardements, dans les villes et dans les gares en   particulier, devenaient de plus en plus spectaculaires au fur et à me sure de la   progression vers l’ouest. Une des premières causes des souffrances subies   pendant ce retour fut la rigueur du climat de l’Allemagne du nord. En Poméranie   même, tempête de neige, verglas puis dégel rendirent les premières étapes   excessivement pénibles. La température, pendant plusieurs jours, varia de moins   l0 à moins 15 degrés. Le vent était glacé. La marche était extrêmement   difficile, provoquant une grande fatigue dans des organismes déjà affaiblis par   un manque de nourriture prolongé, pendant les 5 deniers mois à Arnswalde. On se   traînait, on glissait, on tombait. Au dégel, il devint impossible d’utiliser les   luges. Il fallut donc prendre sur le dos la partie la plus précieuse qui se   trouvait sur ces dernières, essentiellement les vivres et abandonner le reste,   courrier, documents fruit des travaux effectués au camp, objets divers, sur le   bord du chemin. Après 1’0der, le temps fut plus supportable mais le vent fut   souvent particulièrement froid, le gel réapparut momentanément et quelques   averses posèrent le problème du séchage des vêtements trempés pour lesquels il   n’y avait pas de possibilité de rechange. A ces conditions climatiques sévères   s’ajouta le fait que la quasi-totalité de l’itinéraire parcouru à pied évita les   grandes routes. 
Il fallut marcher sur des chemins de terre, souvent boueux quand   ils n’ étaient pas couverts de neige, parfois 
à travers champs, à plusieurs   occasions sur des voies ferrées ou I’espacement des traverses n’était pas   régulier. 
Les déplacements furent ainsi particulièrement épuisants. Quant aux   cantonnements retenus 
par les allemands, à chaque fin d’étape, ils furent à une   ou deux exceptions près, spécialement déplorables. 
Ne furent disponibles que des   granges parfois très vastes, mal fermées, dans lesquelles durent s’engouffrer 
des effectifs trop importants. Il en résulta des entassements incroyables, ne   permettant pas de trouver le repos indispensable et rendant la promiscuité   souvent irritante. A plusieurs occasions, une partie des colonnes dut passer la   nuit à la belle étoile, sans abri, par des nuits glacées. Par ailleurs, ces   cantonnements ne possédaient pas d’installations sanitaires. Les tas de fumiers   étaient les seuls endroits où il était possible de se soulager, 
alors que les   cas de diarrhée étaient nombreux. Les cours de ferme devinrent ainsi, la plupart   du temps, de véritables cloaques. En outre, faute de points d’eau suffisants, il   n’était pratiquement pas possible, dans la majorité des cas, de se laver ; même   l’eau potable manquait et la soif commença à se faire sentir à plusieurs   occasions. Enfin, tout au long du parcours, la nourriture fournie par les   Allemands fut totalement insuffisante. 
Elle comprit un peu pain, des pommes de   terre parfois avariées, mal cuites, peu nombreuses, une quantité infime de   margarine, des brouets particulièrement liquides. Au bout d’un certain temps,   une équipe 
de prisonniers put prendre en main la préparation et la distribution   de ces semblants de repas qui ne dépassaient pas, si ils les atteignaient, 1000   calories par jour. Cette mesure permit au moins de tirer un rendement maximum   des rations insuffisantes fournies par l’encadrement allemand. II y eut,   heureusement, pour lutter contre la faim qui commença à se faire sentir des le   passage de 1’0der, deux circonstances favorables. La première fut la possibilité   d’obtenir des Russes ou Polonais rencontrés dans les fermes, du pain 
et du lard,   en échange de cigarettes et surtout de montres, à des taux variables selon les   circonstances. 
La seconde fut la distribution d’un colis de la Croix Rouge à   chaque officier, le 23 février. Ces colis furent particulièrement appréciés   parce qu’ils apportaient un complément indispensable à la nourriture journalière   mais aussi parce qu’ils permirent quelques trocs particulièrement avantageux.   Quoiqu’il en soit, 
les efforts physiques imposés par les Allemands, d’une part,   la sous-alimentation prolongée, d’autre part, 
rendirent rapidement inquiétant   l’état sanitaire de la plupart des officiers des colonnes en marche vers   l’ouest. 
Les pieds de nombre d’entre eux furent douloureusement blessés. La   dysenterie toucha presque tout le monde 
et ne fut disponible qu’un seul remède,   le charbon de bois fabriqué à chaque étape avec du bouleau ou de l’aulne. Les   pertes de poids se généralisèrent. Et, malgré le dévouement et la compétence des   médecins présents dans les colonnes, d’ailleurs démunis de tous moyens   d’urgence, le nombre des malades ne pouvant plus effectuer les marches qui   s’étalaient de 8 à 30 kilomètres par jour, ne cessa d’augmenter rapidement. 
Les   allemands essayèrent, avec brutalité, de ramener les traînards dans les rangs.   Ils firent parfois partir 
les malades avant les autres pour qu’ils puissent   effectuer les parcours prévus lentement. 
A d’autres occasions, ils mirent ces   derniers sur des chariots. En fait, les plus touchés connurent un véritable   calvaire. Quant aux trajets en train, ils furent moins pénibles que la marche   mais ils ne furent 
pas très confortables. Dans les wagons de voyageurs, les   allemands imposèrent des effectifs incompatibles 
avec les places normales   disponibles et dans les wagons de marchandises ils dépassèrent largement la   norme 
des 40 hommes ; mais d’une part, ces déplacements furent courts (2 a 3   jours) et, d’autre part, 
ils annonçaient la fin du voyage et c’était une raison   de ressentir un réel soulagement. En fait, cette fin ne fut exempte ni de   surprises, ni de désagréments, ni d’émotions, aussi bien pour ceux qui   débarquèrent 
à Bremervörde le 26 février 1945 que pour ceux qui arrivèrent à   Soest, le 19 mars. Les premiers eurent d’abord à effectuer une marche d’environ   15 kilomètres pour atteindre le camp de Sandbostel. Ils y trouvèrent des   baraques en mauvais état, sans lits, avec des cabinets bouchés, dans un   environnement sale et boueux. 
Ils prirent contact avec des sous officiers   français envoyés dans ce camp parce qu’ils avaient refusé de travailler pour les   allemands. aperçurent des prisonniers polonais, serbes, italiens, tristes,   exténués. 
Ils apprirent qu’à l’Oflag de Nienburg, situé à environ 160 kilomètres   au sud de Sandbostel, 90 officiers français avaient été tués au cours d’un   bombardement aérien. Ils furent soumis à un épouillage en règle. 
En un mot, ils   souffrirent du froid, de la saleté, de la lassitude, de la sous-alimentation. Le   5 mars, ces officiers repartent pour Bremervörde, y prennent le train pour   Soltau et, de là, partent à pied pour Wietzendorf. 
Ils sont installés dans des   baraques sombres, sans lits, à 54 par chambre, à coté d’un camp d’italiens. 
Puis   les allemands leur fournissent des châlits à 2 étages. Ils vivent dans   I’humidité, la moisissure, les odeurs nauséabondes, la saleté, les déchets, les   gravats. Les waters sont insuffisants. Les alertes aériennes 
sont fréquentes.   Chacun se recroqueville pour lutter contre le froid, se sent vaincu par le   dénuement. 
En contrepartie, I’encadrement allemand d’Arnswalde est remplacé par   un autre, plus coulant. 
La discipline se relâche. En fait, l’immobilité ne   procure aucun repos ; la fatigue reste grande et la lutte contre les rats, les   puces et les punaises est permanente. Quant à la nourriture elle est, comme   toujours, insuffisante.  
Cette sous-nutrition provoque le décès d’un prêtre, le   père Barba. Dans cette ambiance, toutefois, 
deux évènements heureux se   produisent : d’abord, l’arrivée de colis américains qui permettent, comme les   colis de la Croix Rouge de Waren, de fournir un heureux complément   d’alimentation, mais aussi d’effectuer quelques trocs utiles avec les italiens,   possesseurs des objets les plus divers ; en second lieu, I’ avance des troupes   anglaises vers le nord et vers l’est. D’ailleurs, les combats s’approchent, en   fait, de Wietzendorf et le 16 avril, 
les officiers allemands de l’encadrement,   sauf un, partent pour le front. Les prisonniers sont ainsi virtuellement libres   et les sentinelles sont désarmées. Mais le 17 avril deux sections allemandes   arrivent au camp, 
réarment les sentinelles puis s’en vont. Et ce n’est que le 21   avril que le colonel français responsable du camp est appelé à négocier une   suspension d’armes de quelques heures entre anglais et allemands. 
Le 22 avril,   les français valides font 20 kilomètres à pied pour atteindre Bergen ou les   rejoindront plus tard 
les malades laissés provisoirement sur place. Les anglais   les installent alors dans les maisons de la ville à la place des habitants.   Ceux-ci en ont été expulsés en deux heures par les britanniques, après que ces   derniers aient découvert l’existence du camp de concentration de Belsen.   L’horreur des atrocités commises dans ce camp situé à quelques kilomètres de   Bergen, les a révoltés. Enfin libérés, les officiers français de Bergen peuvent 
alors bénéficier des produits alimentaires trouvés en abondance sur place et   remplacer leurs vêtements 
en mauvais état. Ils doivent attendre encore quelques   jours avant un rapatriement définitif. 
Mais ils découvrent à leur tour le sort   atroce des déportés de tous âges. Ils sont bouleversés. Dès la fin avril, 
et au   cours de la première quinzaine de mai, les retours en France ; tant attendus,   s’effectuent par convois successifs, en camions, en avion, par le train jusqu’ à   Lille ou Valenciennes. Pour ceux de Wietzendorf, 
la captivité est alors vraiment   terminée. Pour ce qui concerne les officiers d’Arnswalde envoyés à Soest, 
la   libération s’est présentée d’une façon plus simple, avec, malgré tout, quelques   émotions. 
Ils sont arrivés dans un Oflag, le VI A, très organisé, situé dans une   caserne importante. Ils ont dû s’installer, tant bien que mal, dans les combles   des bâtiments, sans châlits, avec peu de paille, dans un environnement 
pas très   propre. Comme ailleurs, ils n’ont reçu qu’une nourriture insuffisante. Ils se   sont partagés 
les épluchures de rutabaga et les rognures de betteraves. Pour   eux, la faim fut loin d’être jugulée. 
Mais l’organisation existante leur permit   de se reposer. Des activités diverses, des réunions leur donnèrent 
la   possibilité d’occuper leurs journées. D’autre part, ils apprirent la prise de   Mayence et de Sarrebrück 
et les alertes aériennes étaient fréquentes, preuves   que les opérations militaires se déroulaient favorablement. 
En fait, le 30 mars,   Soest était encerclée par les américains. Ces derniers exécutèrent un tir   d’artillerie 
sur le camp, le 5 avril, tuant 21 russes et en blessant 17. Ils   recommencèrent le 6 avril, causant la mort 
de 11 français dont plusieurs   officiers. Puis, ce même jour, enfin avertis de leur erreur, ils pénétrèrent 
dans 1’0flag VI A, à 8 heures du soir. Pour les prisonniers de Soest, la   libération était enfin acquise 
et 
un ravitaillement important était assuré à la   fois par la logistique américaine et par les abondantes ressources alimentaires   de la ville. Le 16 avril, le rapatriement par avion commença et se poursuivit   jusque 
vers le 25 avril, amenant environ 4000 officiers jusqu’au Bourget dont   environ 800 venant d’Arnwalde. Particulièrement satisfaits de cet heureux   dénouement, pensant que ceux qu’ils avaient quittés à Waren connaissaient un   destin comparable au leur, ils ne pouvaient cependant pas oublier que certains   de leurs camarades leur avaient faussé compagnie à l’Est de l’Oder. Or ceux-là   avaient connu des aventures bien différentes des leurs. L’un d’eux sortit de sa   colonne près de Pyritz. Il prit contact avec les avant-gardes russes passa   l’Oder à Francfort sur Oder, contourna Berlin par me Nord. Arrêté par les   allemands après de nombreuses péripéties, il rejoignit finalement une colonne et   termina sa captivité à Bergen. Les malades, une quarantaine, qui le 29 janvier,   restèrent à Arnswalde, commencèrent par se nourrir correctement avec les vivres   disponibles dans le camp. ’Puis ils assistèrent pendant 14 jours, terrés dans   les caves, à de violents bombardements et à des combats sévères qui aboutirent à   la destruction d’une partie des bâtiments 
de l’Oflag IIB ainsi qu’une grande   partie de la ville d’ Arnswalde. Délivrés par les Russes, ils furent évacués 
par   ces derniers sous un tir d’artillerie allemand, à pied et en camions, vers   l’Est, en passant par des villages détruits, par un froid glacial. Un de leurs   camarades, gravement malade, décéda en cours de route. 
Ils arrivèrent ainsi à   environ 14 kilomètres du camp. Fractionnés en plusieurs groupes, ils se   dirigèrent vers Lublin, à environ 500 kilomètres au sud-est, en partie en   profitant de camions russes disponibles ou par voie ferrée, en suivant des   itinéraires apparemment fantaisistes. Ils arrivèrent ainsi dans un camp immense. 
Partis de là en train, ils arrivèrent dans un hôpital à Odessa le 28 mars et le   5 avril ils débarquèrent 
à Marseille. Par ailleurs quelques officiers eurent une   aventure moins heureuse. Ils réussirent certes à quitter 
la colonne ou ils se   trouvaient, avant I’Oder. Mais ils furent rapidement repris par les allemands. 
Ceux-ci les amenèrent à Stettin en camions et les embarquèrent en train pour les   faire rejoindre une colonne 
en marche vers 1’0uest. D’autres réussirent à   échapper à ce sort malheureux. Il semble que l’on puisse évaluer leur nombre à   environ une centaine. Ceux-là réussirent, comme les précédents, à sortir des   rangs, 
malgré les sentinelles, soit en exécutant une décision mûrement   réfléchie, soit en profitant d’une occasion favorable, soit en raison d’un état   de santé empêchant une marche exténuante et prolongée. 
Les uns et les autres   eurent à effectuer, à partir de la région de Pyritz, des parcours difficiles et   parfois pittoresques. D’abord, ils durent se cacher tant bien que mal, alors   qu’il neigeait et qu’il faisait particulièrement froid, pour éviter d’être   repris par des patrouilles allemandes éventuelles. 
Ils assistèrent ensuite à des   combats plus ou moins violents entre les unités allemandes en retraite et les   premiers échelons russes. Certains d’entre eux, peu nombreux sans doute,   participèrent même à des combats acharnés. De toute façon, tous éprouvèrent   quelques émotions à l’arrivée, sur eux, des premiers soldats russes, souvent   prompts à tirer. Ils purent constater que les unités de combat russes étaient   correctement organisées 
et équipées, que les officiers russes à tous les   échelons étaient très jeunes, que les cadres et la troupe faisaient preuve d’une   grande détermination, que la pitié envers les allemands n’ était pas leur fort. 
Ils furent impressionnés par le caractère de horde des formations de deuxième   échelon, d’ou l’insécurité qui pouvait résulter de cet état de fait. Assez   rapidement, dans leur marche vers l’Est, les petits groupes d’officiers   d’Arnswalde se rencontrèrent et se regroupèrent. S’agglutinèrent à eux, au   hasard des étapes ou sous la pression des russes, des personnages de toutes   provenances et de toutes catégories : prisonniers des Stalags, travailleurs   rassemblés en Allemagne par le IIIè Reich, soldats enrôlés par ce dernier dans   toute l’Europe, femmes seules ou mariées, représentant toutes nationalités,   américaine, anglaise, italienne, polonaise, yougoslave, ukrainienne, française.   Sur I’injonction des russes, les uns et les autres furent ainsi regroupés 
dans   des camps importants dont l’ effectif atteignit jusqu’ à 8 à 10.000 hommes qui y   séjournaient parfois plusieurs semaines. Sous la pression des événements et   aussi sur la demande des russes, des officiers français anciens prisonniers   furent ainsi amenés à encadrer ces rassemblements hétéroc1ites, avec l’aide   précieuse 
de prisonniers des Stalags. Il s’agissait rapidement d’assurer un   minimum d’ordre, un ravitaillement suffisant, la confection des repas, parfois   I’habillement, avec les moyens limités fournis par les Russes. 
Il fallut faire   assurer les corvées concernant la lutte contre la saleté, un minimum d’hygiène,   et de soins médicaux mais aussi, en Pologne en particulier, des travaux   agricoles ou de terrassement et parfois 
des manutentions de munitions, sans   oublier une participation à l’exécution des déplacements en camions 
ou en train.   Toutes ces taches prises en charge par les officiers, se révélèrent difficiles   et lourdes, 
quelquefois mal comprises par une partie de ceux qui se trouvèrent   ballottés en Pologne et en Ukraine. 
Il est vrai que la vie de ces derniers   comporta de réels problèmes. Le premier fut celui de la nourriture. 
Certes, elle   fut assez facile à trouver auprès de la population allemande restée sur place, 
tant que les regroupements restèrent limités. La réquisition d’office ou le troc   suffisait. Mais ensuite, 
les Russes ne purent fournir qu’en quantités   insuffisantes les vivres nécessaires dans les grands rassemblements et le millet   ou le chou distribués en permanence ne pouvaient satisfaire tout le monde. Peu à   peu la faim se mit à tirailler les estomacs. En second lieu, les déplacements   furent sou vent très pénibles, qu’ils aient été exécutés 
à pied, en chariot, en   camions ou en train, parfois dans des wagons à ciel ouvert. En plus, ces   déplacements suivaient des itinéraires et des horaires inattendus, cocasses ;   ils étaient donc sources d’irritation, d’impatience, de fatigue. En troisième   lieu, les comportements des russes étaient très souvent imprévisibles,   incompréhensibles. Capables de grands gestes de fraternisation, ils avaient   aussi des exigences brutales, 
des commentaires vexants, que ce soit pour   récupérer des montres ou autres objets ou vêtements, avec frénésie, ou pour   imposer des consignes draconiennes, ou encore exiger des organisations   manifestement inadaptées. 
Il ne fut donc pas toujours facile de s’entendre avec   eux, bien que des officiers de l’Oflag II B aient pu tisser 
avec certains   d’entre eux des liens de réelle amitié et recevoir de ceux-ci des marques   d’estime précieuses.  
Enfin, les personnels à rapatrier comprirent un nombre non   négligeable de femmes : allemandes ou autres, mariées à des français ; femmes   seules arrivées en Allemagne pour différents motifs ; femmes d’origines diverses   essayant d’aller en France. Au milieu d’une masse d’hommes, elles posèrent des   problèmes. 
C’est ainsi que dans un centre de rassemblement important, elles   furent regroupées dans une compagnie placée sous le contrôle d’un des officiers   d’ Arnswalde, pour pouvoir régler plus facilement les difficultés 
qu’elles   suscitaient. Face à toutes ces conditions de vie pénibles, deux activités   méritent d’être mentionnées. 
D’une part, la religion ne fut pas oubliée et des   prêtres purent célébrer assez souvent la messe. 
D’autre part, dans les centres   de rassemblement et même dans certains trains, furent présentés par les russes,   mais aussi par des prisonniers libérés, des concerts, des spectacles de danse,   des sketches et, à Odessa, des opéras. 
Ainsi, peu à peu, les anciens d’Arnswalde   avancèrent vers leur rapatriement. Certains passèrent par Vilno 
puis Odessa, ce   qui leur permit un retour par bateau qui les amena à Marseille le 10 juin 1945. 
D’autres allèrent jusque dans les marais du Pripet pour revenir vers l’Ouest,   pour se retrouver, via Magdeburg, à Paris à la fin du mois de juillet. C’est   dire que tous ceux qui empruntèrent la voie des russes parvinrent 
en France 3   mois après ceux qui transitèrent par Soest. Il leur fallut beaucoup de patience   pour attendre, 
pendant de longs jours, dans des conditions précaires, leur   retour. Mais ils bénéficièrent, auprès des russes, d’une expérience   exceptionnelle. En tout cas, 5 ans après les jours sombres de 1940, il restait, 
pour tous les officiers de l’Oflag II B, de l’Oflag II D, des souvenirs qu’ils   n’étaient pas près d’oublier. 
 
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